mercredi 19 août 2009

Extrait du livre à paraître : "JE TE RAPPELLERAI DEMAIN…" (© Marie de Solemne)


PROLOGUE


Le XXIe siècle a fait rêver bon nombre d’entre nous.

Jusqu’aux années 80, parler du XXIe siècle relevait presque de la science-fiction, avec ses éventuelles et époustouflantes nouveautés technologiques, ses promesses médicales et sociales frôlant parfois l’utopie, mais aussi avec l’avènement d’une humanité plus spirituelle, plus encline à considérer l’être humain comme un sujet et non comme un objet, qu’il soit de consommation ou d’expérience.

Une parole attribuée à André Malraux est d’ailleurs entrée dans les connaissances populaires : « Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ».

Puis, peu à peu nous nous sommes rendus compte que, tout simplement, ce siècle mythique n’était que la continuité du XXe et que nul miracle ou apocalypse ne viendrait changer notre quotidien. Ne restaient que l’espérance, les désirs fous et, surtout, les priorités que l’humain choisissait d’investir.

L’une des priorités, dans nos contrées occidentales favorisées, est d’augmenter la longévité de la vie et cela dans les meilleures conditions possibles, physiques. L’autre, est de toujours et encore augmenter le confort matériel de chacun, au risque d’entrer dans une spirale de l’inutile et parfois même du nuisible.

Mais cela est-il suffisant ?

La prolongation de la vie et un confort matériel grandissant sont-ils les seuls objectifs sur lesquels nous devons travailler afin que nos existences ressemblent, enfin, à ce que certains nomment : une belle vie ?

De toute évidence, non.

Vouloir améliorer nos vies en faisant l’impasse totale sur la plus grande peur, sur la plus grande angoisse de tout être humain est la pire erreur de notre ère moderne qui, s’imaginant les siècles passés comme les tenants de l’obscurantisme, a résolument éradiqué certains sujets de réflexion et certaines traditions fondamentales en s’imaginant ainsi pouvoir échapper à ce qui la dérange le plus : la mort !

Mort, le mot scandaleux est lâché.

L’occidental fortuné (fortuné, en regard de pays plongés dans la misère) ne doit pas (plus) parler de la mort : c’est indécent, malsain, morbide, pessimiste et, de plus, le sujet a la trivialité de prouver l’impuissance humaine face à la fin, la vraie, celle que personne ne peut ni programmer, ni éviter, ni même (soyons honnêtes) retarder.

Dès lors, que faire lorsqu’on ne parle plus de la mort mais que, curieusement, les êtres humains continuent d’avoir le toupet de mourir ?

Que faire lorsque vient notre tour et que nous avons été préparé à presque tout, sauf à « Ça » ?

Que faire lorsque, persuadé de vivre à une époque toute-puissante, dans un pays où tout est prévu, une personne que nous aimons est soudain frappée du sceau de l’ultime départ et que, bouleversé et perdu dans notre chagrin, nous nous tournons alors vers les médecins, les institutions, les éventuelles traditions qui restent et que, ô cruelle surprise, il n’y a quasiment rien ni personne pour aider celui qui va partir comme celui qui va devoir continuer à vivre dans l’insupportable absence que laissera le (ou la) disparu ?

Il faut se rendre à l’évidence…

Non, le XXIe siècle n’a pas tout prévu.

Non, le XXIe siècle n’est pas qu’une somme de gains par rapport au moyen-âge, il a même perdu certaines connaissances et sagesses essentielles.

Non, le XXIe siècle ne détient pas le secret de la vie, sinon il détiendrait aussi celui de la mort et ce n’est pas le cas.

Non, le XXIe siècle n’est pas un siècle pire ou meilleur que les autres, il n’est que ce que les hommes sont et ont voulu qu’il devienne : un étonnant mélange de génie, d’orgueil, de nouvelles valeurs et de limites oubliées.

Que nous manque t-il pour profiter pleinement de l’existence offerte, pour VIVRE, tout simplement ? Apprendre, ou plus exactement réapprendre, la mort.

Ce mot énerve, certains trouvent même que l’on en parle trop. Peut-être parce que cette terrible impuissance à laquelle la mort nous confronte est en décalage avec l’endoctrinement moderne : « La vie est un combat que nous devons gagner ».

Il reste aussi que les acteurs du XXIe siècle ont une prédilection pour les histoires qui se concluent par un « happy end » ; « une belle fin » sournoisement remise en question par cette monstruosité immorale qu’est la perte définitive d’un être aimé.

Nous aimons les histoires d’amour, non les histoires de mort.

Bien que nous sachions tout cela, nous n’ignorions pas que, paradoxalement, ce sont ceux qui refusent le plus obstinément de regarder la mort comme une simple étape de la vie, qui sont, le jour venu, le plus en demande de lumière, d’aide à ce propos. Car, qui que nous soyons, riches ou pauvres, cultivés ou non, croyants ou non, cette étape (épreuve ou occasion — à chacun de choisir) fait partie du menu obligatoire.

Dans 80% des cas, avant même que notre propre mort soit inscrite sur l’agenda du destin, nous aurons à affronter celle de quelqu’un que nous aimons plus que tout, à accompagner cet être aimé vers un sursis ou vers la fin et, si nous n’en sommes pas capables, nous ne trouverons alors aucun autre moyen de gérer la honte intérieure que notre faiblesse génèrera, que celui de refuser encore plus violemment tout ce qui entoure le phénomène de la mort.

Le cercle est pour le moins vicieux.

***

Le récit qui va suivre est l’histoire de la vie qui rencontre la mort. C’est une histoire d’humains avec d’autres humains ; une histoire riche de chagrins innommables, de révoltes, de découragements et d’espérances magnifiques, une histoire réelle, chaque jour d’actualité dans le cœur de quelqu’un, qu’il soit médecin, mourant, ou accompagnant silencieux.

L’histoire d’une mort est l’histoire de toutes les vies : la vôtre, la mienne.

Parler de la mort, ce n’est que parler de la vie, de la vie et encore de la vie!

Que nous le voulions ou non, la mort doit être apprise avant de nous prendre.

Elle exige cela : être conjuguée au présent, plutôt qu’être reléguée dans un temps futur qu’aucun manuel n’enseigne aux enfants et aux grands.

C’est elle qui fixe les règles et non nous-mêmes.

Les personnes d’un récit sont peut-être alors plus à même que de grands textes de réflexions d’exprimer la violence et la lumière des sentiments confrontés à l’ultime.

Le rendez-vous avec la mort d’un proche est une manière de nous rappeler la nôtre, et lorsque la durée s’en mêle, lorsque la mort lambine, nous n’en finissons pas d’être obligé de réfléchir, d’improviser, de sublimer chaque instant pour encore un peu avoir le temps d’aimer.

Chacun, au fond de soi, a le droit de refuser cela, de le nier et même de mépriser cette démarche.

Mais il n’empêche qu’être capable d’affronter la mort, la sienne et celle de ses plus proches en évitant la culpabilité, l’agressivité, l’abattement, a toujours été, et restera toujours, la marque d’un esprit éveillé, vivant, et en parfaite adéquation avec sa condition originelle d’être humain… mortel.

Il s’agit aussi de savoir ce que, dans ce domaine, le XXIe siècle nous offre et nous a dérobé.

D’où vient notre peur des expressions physiques de la mort : odeur, visages figés, regards ternis ?

Pourquoi le mot « mort » est-il devenu une obscénité ?

Pourquoi cachons-nous de plus en plus la réalité même de la mort, dans les hôpitaux et surtout dans nos esprits ?

Pourquoi le terme « agonie » est-il devenu indécent ?

Pourquoi certains ont inventé un mot intermédiaire : « le mourir » ?

Pourquoi les rituels d’antan qui entouraient la mort sont-ils considérés aujourd’hui comme morbides, malsains, comme des signes de régression ou au mieux d’une inutilité fastidieuse ?

Le thème du récit « Je te rappellerai demain… » est :

- Comment est « vécue » la mort au XXIe siècle ?

- Comment regardons-nous mourir (et accompagnons-nous) ceux que nous aimons au XXIe siècle ?

- Ce siècle de la communication — ou plutôt des techniques de communications — n’aurait-t-il pas permis (grâce, entre autre, au téléphone) d’échapper à la confrontation directe ?

- Pourquoi les « techniciens du corps » oublient-ils trop souvent les règles simples de l’humanité ?

- Comment accepter la perte, à une époque qui n’enseigne que le gain ?

Enfin, cette phrase apparemment anodine : « Je te rappellerai demain… » n’est-elle pas la plus utilisée dans nos vies quotidiennes lorsqu’il s’agit de fuir, de se cacher, de remettre à plus tard quelqu’un ou quelque chose qui nous dérange, nous agace, nous met mal à l’aise, qui pointe du doigt une faiblesse, une incapacité ?

Aujourd’hui, ce sont parfois les mourants eux-mêmes qui nous disent: « Je te rappellerai demain… », afin de masquer, refuser, nier encore ce que leur corps et leur âme savent déjà, ou pour nous épargner l’ultime soupir auquel nous ne sommes pas préparés.

***

« JE TE RAPPELLERAI DEMAIN… » pourrait aussi s’intituler : « Histoire simple d’un désastre ordinaire ».

Ce roman est né d’une histoire vécue, réelle, une histoire universelle et unique, une souffrance qui a sans doute plus appris à Ylane, la jeune femme qui me l’a confié, sur ses forces et ses limites, sur la nature humaine, ses merveilles et ses défaillances, que la plupart des livres de philosophie et de psychologie qu’elle avait pu dévorer durant ses études — comme plus tard.

Issue d’une famille bohème, où les jeux de l’esprit permettaient de supporter les chroniques problèmes financiers, où les liens du sang se perdaient un peu entre distance géographique et individualisme insouciant, elle croyait connaître ses proches, se connaître…

Puis, dans cette ambiance feutrée d’une famille presque ordinaire de notre monde occidental moderne, où la notion de « recomposition » est quasiment devenue une normalité, le malheur frappe subitement. Mathilde, pilier indispensable de cette famille, la femme, la mère, que tous pensaient indestructible, est frappée d’un cancer ; un de ces cancers fourbe déjà bien installé et découvert par hasard, lors d’une analyse de sang.

L’univers bascule soudainement. Les personnalités réelles de chacun se dévoilent peu à peu. Ceux que l’on croyait proches et dévoués optent pour la fuite ; ceux que l’on croyait « guerriers » se montrent étonnamment fatalistes et figés ; ceux que l’on imaginait vulnérables s’avèrent étonnant présents, puissants ; ceux qui croyaient « savoir », ne savent plus rien.

Quand la mort entre de biais dans votre vie, tout devient étrangement transparent, dangereusement transparent ; tout se met à l’envers, à l’endroit de l’envers.

Ylane s’est brutalement trouvée confrontée à l’inconnu, à l’imprévu : l’apathie de ceux qu’elle pensait déterminés, l’indifférence de ceux qu’elle imaginait concernés, le mutisme des plus prolixes, l’agressivité des plus calmes, la puissance de ceux qu’elle croyait les plus vulnérables.

Dans cette histoire purement humaine où les limites de chacun côtoient les réserves insoupçonnées de certains, Ylane qui se croyait mieux armée que d’autres face à la mort, qui pensait tout savoir d’Elle après ses études de philosophie, avait simplement oublié un détail, infime, nulle part tracé dans les livres de sagesse : l’impact de l’amour. Les sentiments extrêmes démunissent en même temps qu’ils offrent la force d’avancer, de se battre ; L’émotion brute, la douleur de l’amour impuissant, empêchent de réfléchir et plongent parfois dans l’obscur ce que l’on croyait clair.

L’histoire n’est pas exceptionnelle, elle frappe chaque jour des milliers d’êtres en ce monde.

Ce qui transforme un fait commun (la maladie, la mort) en événement unique et universel à la fois, est l’analyse de la diversité des réactions des personnes concernées (malade, conjoint, enfants, médecins, etc.), l’invraisemblable rage de combattre les non-dits, les veuleries, les fuites et les refus.

Et aussi, cette folie de la mort (comme pour prendre sur soi ce qui est inscrit pour un autre) qui soudain s’empara d'Ylane, au point de provoquer (inconsciemment) un terrible accident de voiture dont elle ne ressortit indemne que par miracle ; puis, cet acharnement à vouloir faire parler le cancérologue qui n’a rien à dire, qui est toujours pressé, ce renversement des rôles où peu à peu elle s’aperçoit qu’elle devient la mère de sa mère, qu’elle la veille comme elle veillait ses propres enfants lorsqu’ils étaient malades.

Ensuite, très vite, la maladie de sa mère évoluant inexorablement vers l’ultime, une question commence à la ronger, à la détruire ; une question qu’elle est seule à se poser, une question que personne ne veut entendre, à laquelle personne ne veut réfléchir, ne serait-ce que quelques instants : « Dois-je dire à ma mère qu’elle va mourir bientôt, dans quelques semaines, tout au plus quelques mois ? Est-ce à moi de dire cela, ou au médecin ? ».

Elle ne sait pas. Elle ne sait plus rien. Et, dans ce long chemin de solitude, elle n’aura pour seuls alliés que son instinct animal, son cœur de femme, d’enfant, de mère, et sa conscience, cette éthique qu’elle place plus haut que tout et qui lui interdit de prendre une telle décision sans l’accord de son frère, de sa sœur, du médecin ­— au risque de connaître le goût amer du regret et de la culpabilité.

L’épreuve d’Ylane s’est décliné en trois temps :

- Le temps de l’Avant : la maladie, l’agonie.

- Le temps de l’Instant : l’annonce de la mort, son propre engloutissement dans le noir par la brutalité de la nouvelle ; les funérailles).

- Le temps de l’Après : que deviennent ses relations avec les autres ? Où en sont les mensonges vertueux ? Comment se reconstruire sur la culpabilité qui ronge ? A t-elle fait ce qu’il fallait, quand il le fallait, comme il le fallait ?

Ce n’est que dans ce troisième temps — l’Après — que nous pouvons enfin avoir un début de réponse à la terrible question : faut-il, oui ou non, dire à l’être qu’on aime et dont les jours, les heures sont comptés, l’état réel de sa maladie ? Faut-il avoir l’audace de parler de l’indécent, de l’ignoble : la mort ?

Étonnamment, Ylane a découvert que cette épreuve d’une dureté effroyable, que cette plongée immonde au royaume de la mort, de la souffrance et de l’incertitude lui enseigna bien plus que toutes ses études, bien mieux que tous ses petits bonheurs, ce qu’était la Vie, la vraie. La beauté de la vie, sa fragilité et sa force.

Ce n’est qu’en réalisant ce qu’était devenue la mort au XXIe siècle, qu’elle a réellement compris que vivre avec son temps, c’est également se souvenir de ce mot de Jésus qui se promène doucement dans les Évangiles, ce mot simple et terrible qui seul offre la liberté à celui qui part comme à ceux qui restent et que, pour tous ceux qu’il aime, chacun devrait apprendre à dire humblement : « Va… »

***


© Marie de Solemne

mardi 18 août 2009

L'OMBRE ET LA GRÂCE

ISLAM ET LIBRE ARBITRE - La tentation de l'insolence

L'ENTHOUSIASME ET LA JOIE - Au temps de l'exaspération

AIMER… MALGRÉ TOUT



INNOCENTE CULPABILITÉ

ENTRE DÉSIR ET RENONCEMENT

LE MAL D'INCERTITUDE

MOI + TOI = MOI 2

LA SINCÉRITÉ DU MENSONGE


Si nous n'aimons pas que l'on nous mente, sommes-nous pour autant prêts à entendre la vérité ?
Rien n'est moins sûr...

Indissociable de l'histoire de l'homme, le mensonge obtient indiscutablement le tableau d'honneur de l'ambiguïté.

Il a de multiples visages et d'innombrables motivations.
Qu'il soit considéré comme un grave péché, un simple défaut, un légitime moyen de protection ou même le joyeux exercice d'une vive imagination, il est néanmoins indéniable que nous entretenons avec le mensonge une relation troublante.

Dès lors, plutôt que juger de la légitimité ou non du mensonge, ne serait-il pas plus honnête d'admettre humblement que nous ne pouvons pas nous en passer, et alors d'essayer de comprendre pourquoi ?

Le mensonge est-il le propre de l'homme ?
A qui essaie-t-on réellement de mentir : aux autres ou à soi-même ?
La vie en société serait-elle possible sans le mensonge ?
Finalement mentir ne serait-il pas la seule parade que trouva l'homme pour supporter sa douloureuse inaptitude à la vérité ?

LA GRÂCE DE SOLITUDE

AIMER DÉSESPÉRÉMENT